La cafétéria qui résistait au ménage, un échec systémique
Lorsque je bossais à Octo en 2005, la boîte comptait moins de 70 personnes. Les consultants allaient chercher à manger […]
Lorsque je bossais à Octo en 2005, la boîte comptait moins de 70 personnes. Les consultants allaient chercher à manger dans les bouibouis environnants, on mangeait sur la terrasse, et chacun jetait à la poubelle ses restes, sacs et emballages de nourritures.
Avec le développement de la société les années suivantes, certains ont commencé à s’inquiéter : de plus en plus de sacs en papiers oubliés, des tables pas toujours nettoyées (miettes et compagnies). On était pas encore au niveau d’un squat d’étudiants, mais tout de même, emmener des clients dans notre pièce à vivre devenait gênant.
Quick fix
Une solution fut mise en place discrètement : à 14H, une assistante balançait ce qui traînait et passait un coup sur les tables. Personnellement, je ne m’en suis pas rendu compte. A la réflexion, la cafét’ paraissait même plus en foutoir qu’auparavant.
Avant le coup de torchon de 14H, c’était pas plus classe, et après, le foutoir semblait se réinstaller plus vite. Des cocas de l’après-midi commençaient à traîner, des gobelets de cafés à être abandonnés sur les tables, au milieu des miettes du quatre heure.
Expliquer ce phénomène n’est pas le point central de ce billet, mais j’aimerai quand même m’y essayer. On tend spontanément à incriminer, au choix, les nouveaux / les anciens / les crados, bref toute une catégorie d’”autres” qui seraient des méchants pas polis. Personnellement, j’assure que mes collègues étaient des gens très biens et respectueux des autres, peut-être étourdis, mais pas à ce point là. Avec du recul, je pense que ces comportements étaient induits par le contexte.
Croyance en un environnement autonome
Aucun employé de bureau ne vide ses poubelles le soir, ou ne commande de feuilles pour la photocopieuse de l’étage. On perçoit les bureaux comme des systèmes autonomes, on suppose que de mystérieux services généraux se chargent de tout ça.
La cafétéria était devenue autonome : lorsqu’on oubliait de ranger son sac de sandwich, le sac avait généralement disparu avant la pause café de 16H. Pas besoin d’une réflexion consciente pour que la complaisance s’installe. Pour les nouveaux, la cafétéria n’avait jamais fonctionné autrement, donc il ne voyait pas le problème. Quant aux anciens, sachant que l’assistante passait, nous ne poussions plus de gueulante après les collègues indélicats, nous préférions le consensus.
Traiter le symptôme
Sans approfondir sur les détails du comment et du pourquoi, le constat est là : la solution “assistante” n’était pas seulement inefficace, elle avait fait empirer la situation. Cette anecdote, dont je n’ai toujours pas trouvé la solution, me fait encore réfléchir et m’invite à l’humilité.
Scrum Master, manager, facilitateur, on ressent souvent le besoin d’agir, de se rendre utile face à un obstacle de l’équipe. On est tenté de prendre la solution en main, de “passer un bon coup de chiffon”. Mais face à un phénomène complexe, on prend le risque de soigner un symptôme, ce qui incite le système dans ses travers. Je ne dis pas qu’il ne faut pas essayer, mais toujours garder du recul sur l’évolution de la situation globale.
Exemples concrets que j’ai régulièrement croisés :
- un développeur senior qui repasse derrière ses collègues pour nettoyer le code
- un scrum master qui met en oeuvre les actions d’amélioration décidées par l’équipe
- un chef de projet chez un prestataire qui fait l’interface avec le client car ses développeurs ne sont pas très diplomates
Si c’est votre cas, vous pouvez évaluer votre effet réel en posant la question à un observateur extérieur : “objectivement, la pièce parait-elle plus propre depuis que je fais le ménage ?”
(EDIT : article remanié et renommé suite à quelques feedbacks)
Tags: Cafétéria, L’enfer est pavé de bonnes intentions, Soigner les symptômes, Systémique
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